A LA UNEMONDEPOLITIQUE

Bénin / Crise politique : 07 personnalités politiques, religieuse et de la société civile parlent à Talon

La situation sociopolitique que traverse le Bénin est préoccupante. Ce qui ne laisse perssone indifférente. C’est dans ce climat que sept personnalités de diverses obédiences ont publié une tribune adressée au Président de la République.

Son objectif : alerter sur les causes et conséquences de ces élections qui déboucheront sur un parlement monocolore… Le risque est grand. Eux, ils auront eu un mérite: celui d’avoir osé parler…

LIBRE TRIBUNE

« Préservons l’essentiel »

Ont signé cette libre Tribune à l’attention de S.E.M. Patrice Talon, Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement du Bénin, les personnalités ci-après : 
Père Efoé-Julien Penoukoun – Sylvain Adékpédjou Akindès – Frédéric Joël Aïvo – Reckya Madougou – Omar Arouna – Prudent Victor Topanou – Simon Narcisse Tomety.

Monsieur le Président de la République,

Au moment où la Nation joue son unité et que le pays traverse une crise, probablement la plus grave depuis la Conférence des forces vives de la Nation, nous avons l’honneur mais surtout le devoir moral de nous adresser directement à vous. Vous êtes le Père de la Nation, le premier Magistrat de ce pays, celui qui a été choisi librement par notre Peuple pour l’aider à préserver son label démocratique, à réaliser son bonheur et à veiller à ce qu’il a de plus cher, la paix et l’unité de ses enfants. C’est à ce titre que nous nous permettons d’interpeller directement les hautes responsabilités qui sont aujourd’hui les vôtres et, au-delà de vous, espérons-nous, le sens patriotique de tous ceux, députés, hommes politiques, universitaires, qui se succèdent et se relaient devant nos compatriotes, pensant vous servir mais qui, de bonne ou de mauvaise foi, de gré ou de force, vous éloignent, chaque jour un peu plus, de ce qui est, à notre sens, votre rôle d’arbitre et de protecteur de vos mandants.

Monsieur le Président de la République,

Vous connaissez personnellement chacun d’entre nous. Vous connaissez nos opinions. Depuis votre avènement à la magistrature suprême en avril 2016, et même avant, vous savez que bien des citoyens ne partagent pas toutes vos idées et projets politiques. Certains parmi nous se sont opposés à vos idées, et vous les ont exprimées en privé et/ou publiquement, d’autres ont combattu de bonne foi, vos initiatives constitutionnelles et législatives en ayant toujours chevillé au cœur l’intérêt supérieur de notre pays. Qu’à cela ne tienne, nous sommes en démocratie et vous avez été élu par notre Peuple pour mettre en œuvre un projet de société pour le développement de notre pays dans le respect de son option démocratique. Votre droit de déterminer et de conduire en toute liberté la politique de la Nation, n’est nullement en cause. Personne parmi les démocrates de notre pays ne peut vous dénier votre droit de conduire en votre âme et conscience le mandat que vous ont donné les Béninoises et les Béninois.

Cependant, ce qui explique l’opposition de nombreux citoyens parmi vos compatriotes et nous autorise parfois à jouer notre rôle de conscience critique de la Nation est simple. Si en application de l’article 54 de la Constitution, vous avez le droit de gouverner selon vos idées et non celles de vos adversaires politiques, vous avez davantage l’obligation de gouverner sur la base de la Constitution dont le Peuple s’est librement doté et dans le respect des traités et engagements internationaux que notre pays a souscrits. L’opposition de nombre de vos compatriotes à votre politique, la résistance d’autres, au Bénin comme dans la diaspora, à ce qu’ils considèrent comme un décrochage démocratique n’est que la traduction de leur résolution vous exhortant à gouverner dans un cadre démocratique et sans détruire les droits et libertés qui protègent chacun d’entre nous contre un pouvoir qui perdrait aujourd’hui ou demain la raison. C’est le sens de cette tribune qui cherche modestement à attirer votre attention sur la réalité de la crise et les menaces irrémédiables qui planeront désormais et pour longtemps sur notre pays si, le 28 avril 2019, vous laissez franchir le pas de trop.

Monsieur le Président de la République,

Nous savons que vous avez les moyens politiques, financiers et militaires pour faire tenir, en dépit de tout, le scrutin du 28 avril prochain. Nous savons que, malgré tous les signaux qui sont au rouge, vous avez les moyens de recruter les soutiens, politiques, intellectuels et institutionnels qui aideront à justifier qu’il n’y a ni crise, ni blocage, qu’au total, la poursuite du processus électoral est légale et qu’au surplus, le scrutin du 28 avril qui oppose deux listes, politiquement siamoises et dont on connaît l’unique géniteur, est parfaitement démocratique.

Tout ou presque tout, dépend de vous. C’est parce que vous le voudrez que ce scrutin aura lieu, même s’il est contesté, décrié et peut-être, que Dieu nous en préserve, émaillé de violences. Si vous avez ainsi la force et les moyens d’imposer l’élection du 28 avril, vous savez aussi que ce Peuple, celui de Béhanzin, de Kaba et de Bio Guerra, a la puissance et la légitimité pour tout arrêter quand il le voudra et quand il en aura marre. A ce moment-là, le Peuple souverain, seul maître de ce pays et propriétaire de toutes les institutions et des deniers publics n’avertira personne, ni la CENA, ni les deux listes siamoises encore moins vous-même.

A cet égard, il est de notre devoir d’appeler votre attention sur le fait que la contestation qui s’élève dans votre pays depuis plusieurs semaines, la colère que suscite la poursuite du processus et la défiance qui s’organise un peu partout sur notre territoire n’avaient rarement atteint, pour les législatives, ce niveau d’intensité. Face à cette fronde, vous aviez le choix entre écouter et arbitrer ou durcir et poursuivre l’épopée du Bloc de la Majorité Parlementaire (BMP). Comme réponse à l’appel de tous les corps intermédiaires, (Anciens Chef d’Etat, Partis politiques, Syndicats, Société civile, Religieux, Chefs traditionnels) et malgré la médiation des Nations Unies, de la CEDEAO et de la République Fédérale du Nigéria, vous avez poursuivi le processus électoral contre toute attente, en militarisant le pays au risque de transformer progressivement ce havre de paix en une scène de conflit armé qui voit circuler en pleine période pré-électorale, des soldats de l’Armée et du matériel militaire lourd.

Et pourtant, vous le savez, Monsieur le Président de la République, et vous l’avez reconnu vous-même le 6 mars 2019, la colère de vos compatriotes n’est que la légitime revendication de leur droit de choisir librement ceux et celles qui doivent les représenter à l’Assemblée nationale. Que perdons-nous à organiser une élection inclusive, crédible et pacifique comme depuis 29 ans ? Rien, au contraire. Et que gagnons-nous à organiser une élection contestée qui divise et discrédite le pays ? Voici les bonnes questions que nous devons nous poser pour bien comprendre ce qui se jouera dès le 28 avril.

D’abord, le Bénin va organiser depuis bientôt 30 ans, une élection sans choix. Avant même le 28 avril, ces législatives vous garantissent 83 députés sur les 83 que compte notre Parlement. Si les électeurs sont contents de vous et accordent leur suffrage à l’Union Progressiste, vous aurez 83 députés sur 83. Si au contraire, les mêmes électeurs sont fâchés contre votre gouvernance et décident de voter pour le Bloc Républicain, vous êtes aussi assuré d’avoir 83 députés. Et si, dans un souci d’équité, les électeurs décident de voter un peu pour l’Union Progressiste et un peu pour le Bloc Républicain, même là, décidément, vous aurez toujours 83 députés sur les 83.

Autant le dire, l’élection législative du 28 avril 2019 est une élection sans choix qui n’aura rien de démocratique. Cette élection sélectionne et « oppose » par « un hasard » révoltant seuls les deux partis que vous avez promus. Du fait des lois votées par le BMP, les électeurs n’auront le choix qu’entre vos soutiens et vos soutiens. Un tel scrutin qui écarte fermement les partis d’opposition et d’autres partis historiques de notre pays, humilie l’intelligence de notre Peuple et vendange ce que nous avons bâti ensemble, élections après élections, depuis le référendum du 2 décembre 1990. Personne ne peut l’accepter et on n’aura pas besoin d’être votre opposant pour le dénoncer. Nicéphore Soglo (1991-1996) ne l’a pas fait, Mathieu Kérékou (1996-2006) n’y a jamais songé, Boni Yayi (2006-2016) non plus. Pourquoi prendriez-vous le risque de le faire ? Vous qui êtes le produit même de la démocratie et qui devez votre survie et votre élection à l’attachement des Béninois à leur démocratie et à son corollaire indispensable qu’est la paix.

Ensuite, des lois hostiles au pluralisme et à liberté de candidature ont été adoptées. Sur les deux lois controversées, vous comprendrez nos réserves aussi car, aucune réforme ne peut avoir pour but d’exclure d’une élection majeure, des partis d’opposition. Que l’opposition elle-même décide de la boycotter, on l’aura compris. Mais ce n’est pas le cas. L’opposition clame sa volonté de participer au scrutin. Elle l’exprime, la martèle, revendique d’y prendre part et menace par des marches, des déclarations et des manifestations de masse du nord au sud du pays.

A cet égard, il n’est pas à l’honneur de notre pays que la Charte des partis politiques rende improbable l’existence juridique des partis d’opposition. L’on ne peut, non plus, admettre qu’un code électoral compromette la liberté de candidature. Au total, il n’est pas du mérite de notre génie collectif que du fait de l’application des lois, l’existence juridique des partis et l’acte de candidature à une élection soient devenus plus drastiques qu’un examen de passage ou plus corsés qu’un concours. L’Etat doit aider les partis, les encourager, favoriser leur épanouissement, mais pas leur dénier l’existence, les combattre farouchement ou se réjouir de leur exclusion.

Enfin, nous allons avoir un Parlement illégitime. Si par extraordinaire, le scrutin du 28 avril se tient, nous allons installer au cœur de la République un Parlement intégralement monocolore, composé uniquement de vos partisans. Certains de vos adversaires diront que l’Assemblée nationale est à vos ordres. D’autres dénonceront des députés « godillots ». Ainsi pendant 4 ans mais surtout pendant les 2 ans qui restent de votre mandat, la contestation de cette Assemblée sera permanente et retenue comme une des faiblesses de votre régime. Dès lors, se pose la question suivante : Est-il de l’intérêt de notre pays de prendre le risque d’une élection qui va déboucher sur un Parlement monocolore, illégitime, contesté et qui ne va inspirer confiance ni à nos compatriotes, ni à aucun de nos partenaires ?

Voilà pour les données du problème. Elles sont suffisamment graves et n’honorent pas votre mandat. C’est la première élection qu’organise votre Gouvernement. Elle ne peut être fermée à ceux qui sont opposés à votre politique. Autrement, cette élection sera dégradante pour votre gouvernance et l’image de notre pays. C’est pourquoi nous nous en remettons à votre sagesse afin que vous preniez, seul dans le secret de votre conscience et dans l’intérêt supérieur de notre pays, les décisions qui s’imposent. Si ces données ne suffisent pas, les conséquences qu’une élection tronquée – que d’aucuns qualifient d’ores et déjà de « braquage électoral » ou de « vol d’Assemblée » – pourrait avoir dans le futur doivent nous aider à renoncer à tout passage en force contre le Peuple souverain, seul détenteur du pouvoir.

Monsieur le Président de la République,

Le premier risque est pour votre pouvoir. Depuis fin 2018 que notre pays est entré en crise, notre Peuple a perdu de sa quiétude. La Nation est divisée et le Gouvernement lui, est focalisé sur la gestion des déflagrations politiques de ses décisions sans toujours se préoccuper des conséquences sociales et géopolitiques. Un pays ne peut vivre dans l’incertitude du lendemain et voir son Gouvernement se détourner des tâches du développement. Or, avec cette crise, le PAG autour duquel le pays devrait réaliser l’union sacrée passe au second plan au profit de la politique politicienne. Pour finir, l’élection législative, si elle n’est pas inclusive, elle vous fera perdre, à titre personnel, les garanties de la démocratie, de même que les gages de l’attractivité de notre pays. Tout cela ouvrira la boîte de pandore et vous exposera à tous les risques d’une vie politique sauvage où la loi du plus fort est toujours la meilleure.

Le second risque est pour l’image du pays. Le Bénin a une image que nous avons réussi, malgré nos modestes moyens, à construire. C’est l’image d’un pays qui fait son petit bonhomme de chemin sur la voie du développement et de la démocratie. Malgré nos divergences et les enjeux politiques, nous avons toujours organisé nos élections dans le respect mutuel, la tolérance, la transparence et la paix. C’est la beauté de ses alternances qui distingue le Bénin. Votre histoire personnelle a rajouté en mars 2016 un charme supplémentaire au parcours démocratique de notre pays. Point n’est besoin ici de rappeler les circonstances de votre retour au bercail souhaité par tous les démocrates et l’équité qui a prévalu à votre élection. Équité ayant rendu possible l’échec du candidat du pouvoir en place face à vous dont nul n’ignorait le niveau d’antagonisme avec le Président de la République alors en fonction.

Si après tant d’efforts et un parcours presque sans faute, nous prenons le risque d’une parodie d’élection, nous n’aurons plus aucun mérite d’être distingué des autres pays en Afrique. Dans ces conditions, il est presque sûr que nos partenaires qui concentrent leurs aides au Bénin en raison de son expérience politique et les investisseurs qui sont attirés par les garanties que leur offre notre démocratie nous feront payer ce virage à 360 degrés.

Le troisième risque est pour la paix. De 1963 à 1972, notre pays est resté l’enfant malade de l’Afrique en raison des coups d’Etat militaires et de l’instabilité chronique qui y régnaient. La Conférence des forces vives de la Nation a redonné à notre Peuple sa dignité et depuis 1990, nous avons patiemment bâti stabilité et paix pour notre pays. Mais, nous aurions tort de croire que le Bénin est totalement guéri de son mal. Les 29 dernières années ont en réalité consacré une phase de convalescence qui peut être déstabilisée par une crise majeure.

L’enfant malade de l’Afrique n’est donc pas encore totalement guéri. Il peut rechuter et redevenir plus malade qu’il ne l’était. C’est pour cette raison que nous interpellons directement votre haute responsabilité afin qu’elle contribue à apaiser notre pays, à réconcilier les différents bords politiques, à préserver la paix et à unir notre Peuple autour des objectifs de développement, loin des règlements de comptes. Car, au-dessus d’une élection qui n’est que législative, au-dessus des lois de la République, il y a le pays et ses citoyens. Tous les pays en guerre, les pays en crise, les pays aujourd’hui sous surveillance internationale ont d’abord et avant tout été des pays pacifiques et stables. Notre pays change devant nous et nous n’avons pas le droit de banaliser la radicalisation du discours politique, la colère du pays et la violence qui s’installe dans nos villages et nos quartiers de ville. Nos consciences individuelles et collectives sont interpellées.

Votre mandat est en jeu, votre serment l’impose. La victoire de votre camp, la tentation d’avoir le contrôle de l’Assemblée sans bataille, l’élection ou la réélection facile de quelques députés ne peuvent mériter que notre pays bascule dans la violence. Si malgré les avertissements de nos partenaires, malgré la colère de beaucoup de Béninois, malgré les menaces qui pointent à l’horizon, nous organisons les élections du 28 avril dans l’exclusion, les dégâts seront énormes. Nous prendrons le risque d’exposer le pays à une menace permanente de rupture de la paix et surtout d’ouvrir un cycle de perpétuation des règlements de comptes dont les conséquences peuvent être désastreuses pour notre vivre ensemble.

Monsieur le Président de la République,

Vous avez connu la grâce d’être aujourd’hui le numéro un d’entre nous. Certains l’ont connu avant vous, d’autres vous succèderont et auront entre leurs mains, notre destin commun. Faites-en sorte que la fraternité l’emporte sur nos divergences, que la dignité de nos compatriotes ne soit jamais brisée par le commandement politique et enfin que la paix de ce bout de terre qui est notre patrimoine commun soit élevée au-dessus de tout. Vous avez le devoir de léguer à vos successeurs le pays uni dont vous avez hérité dans la paix et la concorde. Ne franchissons point le pas de trop. Vous pouvez encore changer le cours de l’histoire éprouvante qui se profile à l’horizon de notre pays. Préservons l’essentiel, car plutôt que périsse l’Etat, périsse un principe.

Très respectueusement.

Toujours en prière pour que se réalise le désir du chef de l’Etat publiquement déclaré le 6 mars 2019 d’avoir des élections législatives inclusives, j’appose ici ma signature, dans le seul souci de soutenir toutes les initiatives pacifiques allant dans ce sens.
Père Efoé-Julien Penoukoun
Ancien Aumônier national des cadres et personnalités politiques

Frédéric Joël Aïvo
Professeur Agrégé de droit public, Constitutionnaliste
Ancien Doyen de la Faculté de droit et de Science politique

Omar Arouna
Ancien Ambassadeur du Bénin près les Etats-Unis, le
Mexique et Représentant du Bénin près la Banque Mondiale et le FMI

Reckya Madougou
Experte en finance inclusive et développement
Ancien Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Sylvain Adékpedjou Akindes
Professeur à la Retraite
Ancien Ministre

Prudent Victor Topanou
Professeur de science politique
Ancien Secrétaire Général du Gouvernement
Ancien Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Simon Narcisse Tomety
Géographe-Territorialiste du développement
Chercheur-Institutionnaliste de réformes publiques

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