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Joël Aïvo : “Quand on n’est pas capable de gagner loyalement une élection, on n’utilise pas ses réseaux et le pouvoir politique pour supprimer l’élection”

MESSAGE DU PROF JOEIL AIVO, DOYEN SORTANT DE LA FADESP A LA COMMUNAUTE UNIVERSITAIRE

Ce lundi 4 février, je devrais commencer un cours de droit constitutionnel à l’Université Gaston Berger de Saint Louis au Sénégal. Mais en lieu et place de ce cours, ce même jour, à 15 heures je passerai service à mon collègue choisi et désigné par le Gouvernement. Avant de sortir de mes fonctions, j’ai tenu à adresser, depuis vendredi dernier, au corps enseignant de la Faculté, au Personnel administratif et aux Etudiants, un mot d’au revoir dont voici la teneur.

Cher(e)s collègues,

Le vendredi 12 février 2016, dans la Bibliothèque qui porte désormais son nom, le Professeur Barnabé Georges GBAGO, Doyen depuis six (6) ans, m’a passé fonction. A 12 h 36 minutes, j’entre en fonction et deviens le 9ème Doyen de la Faculté. Ce fut, et notre communauté s’en souvient encore, au terme d’un scrutin âprement disputé, une élection, ouverte, virile mais courtoise. Les élections de 2016 à la Faculté de droit et de science politique, comme dans plusieurs autres établissements, ont opposé des collègues. C’est le propre de toute élection libre de confronter des hommes. Mais au-delà des dissensions inévitables, la magie de la démocratie c’est de consacrer une idée et d’établir pour un temps, celui qui aura la légitimité pour agir. C’est ça la démocratie. Et on est démocrate, ou on ne l’est pas.

Nous voici au terme de ces trois (3) dernières années qui nous ont permis, ensemble de transformer notre Faculté, du plancher au plafond. Le mandat que vous m’avez donné a été au service d’une action énergique avec des résultats tangibles et visibles. Nous pourrions faire mieux que ça, mais voilà les résultats que les moyens et le temps nous ont permis d’atteindre ensemble.

Pour tout vous dire, et certains d’entre vous le savaient, à la fin de ce premier mandat, ainsi que l’autorisent nos textes, je me suis préparé pour solliciter de nouveau, votre confiance. Je me suis préparé pour faire face aux contraintes de la démocratie et me soumettre à votre jugement. Je voulais encore pour trois (3) ans m’adosser à vous pour poursuivre l’œuvre de modernisation de notre Faculté. Je voulais rester votre serviteur, mais pas à tout prix. A l’Université, être l’élu de ses pairs, sortir des entrailles de sa communauté est un privilège qu’aucune compromission avec le pouvoir politique aucune cooptation partisane ne peut égaler. Quand on n’est pas capable de gagner loyalement une élection, on n’utilise pas ses réseaux et le pouvoir politique pour supprimer l’élection.

Cher(e)s collègues, je quitte les fonctions que vous m’avez confiées avec une grande joie celle d’avoir été votre serviteur et d’avoir formé, avec le Vice-Doyen, un tandem apaisé. Pendant trois ans, votre soutien ne nous a jamais fait défaut. Du fond du cœur, je voulais vous en remercier. Mais ma plus grande fierté, malgré toutes les menaces professionnelles, personnelles et physiques, ma plus grande fierté disais-je est d’avoir contribué à faire vivre le droit et à faire rayonner la justice dans un contexte devenu difficile et au moment où de nombreuses voix se sont tues de gré ou de force. Malgré ces vents qui soufflent, malgré la répulsion des opinions divergentes, ma foi en la démocratie ne se fissure pas et j’ai bon espoir que notre Faculté restera le bastion du droit et de la justice. La FADESP doit rester le temple où on enseigne le droit, où on le défend et où le pays doit trouver des réponses légitimes, fermes et sans falsification aucune à ses angoisses. La Faculté de droit et de science politique n’a jamais été l’arrière garde d’un parti, d’un gouvernement, encore moins d’une opposition. Elle doit le demeurer et résister à toute tentative tendant à en faire la succursale d’une holding à visée coloniale ou à réduire ses enseignants au silence surtout concernant les questions sur lesquelles notre pays nous attend.

Cher(e)s collègues, si dire à nos compatriotes ce qui est conforme aux grands principes de l’Etat, ce qui relève de la justice et ce qui ne peut être faussement vendu comme du droit, si faire l’apologie de la démocratie doit valoir d’être blâmé par le pouvoir politique, alors je suis très fier de ne pas avoir été maintenu contre votre volonté. Et même si je l’avais été, je me suis préparé à n’exercer aucun jour supplémentaire de mandat qui relèverait d’un pouvoir de nomination et non de l’élection. Le 12 février 2019 est la limite du mandat que vous m’avez confié. Il aurait été scrupuleusement respecté, quoi qu’il arrive.

Maintenant, un nouveau jour se lève dans notre Université. Il se lève sur les ruines de plusieurs décennies d’acquis démocratiques. L’Université élit ses Doyens depuis les années 1980, donc sous le PRPB. Si l’Université s’y accommode, le pays perdra confiance en la fine fleur de son élite et les principes cardinaux qui la gouvernent (l’autonomie des Universités et l’élection des Recteurs, Doyens et Directeurs) seront remis en cause.

A cet instant où je me m’apprête à quitter les fonctions que vous m’avez confiées, je voudrais vous redire ma gratitude pour m’avoir donné l’occasion de vivre cette belle expérience humaine. Mes remerciements vont à tous les collègues de la Faculté, au personnel administratif et à tous ces braves étudiants à qui la Faculté voudrait tout donner mais n’en a pas toujours les moyens. De l’endroit où je serai, avec d’autres, et nous sommes nombreux, je travaillerai à ce que cette parenthèse, ouverte le 30 janvier 2019, soit refermée le plus rapidement possible. Je me battrai pour que les idéologues de cette régression, leurs serviteurs et les bénéficiaires de ce recul démocratique soient mis en minorité afin que notre pays retourne sur le piédestal qui faisait notre fierté.

Frédéric Joël Aïvo

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